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01/07/2014

Un catholique "conservateur" américain défend l'antilibéralisme du pape contre l'assaut des libéraux

Relisons cette charge féroce de Patrick Deneen  contre de pseudo-papistes US au service de Mammon : elle fait penser à leurs épigones, plus sournois, de ce côté-ci de l'Atlantique. Publié sur le site The American Conservative, l'article s'intitule : "Est-ce que quelqu'un ne va pas forcer ce pape à la fermer ?" (titre à prendre au second degré, bien sûr) :

 


<< Depuis la publication d'Evangelii Gaudium, il y a eu d'innombrables articles et commentaires sur les passages économiques de l'exhortation apostolique du pape François. Certains de ces commentaires ont été totalement bizarres, tel celui de Rush Limbaugh dénonçant le pape comme marxiste, ou de Stuart Varney accusant François d'être un néo-socialiste. Les conservateurs américains […] accusaient la désinformation médiatique quand le pape semblait flancher sur l'homosexualité, mais sa critique du capitalisme a dépassé la limite : nous voyons maintenant le pape critiqué, voire condamné, par presque toutes les tribunes médiatiques de droite dans ce pays.

Sous beaucoup de ces critiques on entend ce refrain : pourquoi le pape ne s'en tient-il pas à parler de l'avortement ? Pourquoi ne pouvons-nous pas revenir au bon vieux temps de Jean-Paul II et Benoît XVI et parler de sexe 24 heures par jour, sept jours sur sept et 365 jours par an ? [Deneen sait que ces deux papes parlaient de bien autre chose : il critique ici la posture de « papistes » qui, eux, n'ont parlé de rien d'autre pendant ces deux pontificats]. Pourquoi François n'a-t-il pas la décence de s'en tenir à parler de Jésus et des gays, et d'éviter cette grossièreté de discuter avec n'importe qui d'économie, domaine dans lequel il n'a ni expérience ni compétence ?

Il y a des versions subtiles et des versions impudentes de cette attaque. Sur le site The Catholic Thing, Hadley Arkes signe un texte élégant pour dire que François est correct (en gros) sur le mariage et l'avortement, mais qu'il en parle trop brièvement, superficiellement et avec de malencontreuses mises en garde [ comme de ne plus parler des questions de sexualité reproductive continuellement, mais à bon escient ; ni dans l'abstrait, mais dans l'esprit de l'Evangile ], alors que, dans le même temps, François se répand sur les inégalités et les maux infligés par le libre marché, ce qui conduit Hadley à conseiller au pape de se renseigner la prochaine fois auprès de Michael Novak [ membre du lobby American Enterprise Institute, qui inspira l'administration Bush - idéologue au rayon « catholique » de l'ultralibéralisme - chroniqueur à la National Review ].

Côté impudence, on trouve Larry Kudlow […] qui accuse le pape François de nourrir des sympathies envers la Russie communiste[personne n'a prévenu la droite américaine de la disparition de l'URSS], et de ne pas assez apprécier Ronald Reagan, Margaret Thatcher et le pape Jean-Paul II [ selon eux, JP II a « approuvé l'économie libérale » : ce qui est totalement faux ]...Significativement, Kudlow conseille au pape de « chanter » l'air de « la moralité, du spiritualisme et de la religiosité » au lieu de parler d'économie. De même, le juge Napolitano [ex magistrat du New-Jersey, salarié de Fox News], en écho à Stuart Varney sur le pape et l'économie, déclare :« Je souhaite [que François] s'en tienne à la foi et à la morale... »

Ces commentateurs disent pratiquement : « nous professons la foi catholique en ce qui concerne 'la foi et la morale' – pour dénoncer l'avortement, s'opposer au mariage gay et faire individuellement la charité. » C'est du catholicisme de conversation courtoise. Mais c'est un catholicisme fragmentaire, qui ne met pas en cause des points fondamentaux de l'idéologie économiciste.

Cette version du catholicisme est un utile instrument. C'est la portion de catholicisme acceptable par ceux qui contrôlent le discours dominant, parce qu'elle ne met pas en danger ce qu'il y a de plus important pour les dirigeants de la République : maintenir un système économique postulant l'extraction [pétro-gazière] sans limite, attisant des désirs sans fin, et créant un fossé de plus en plus large entre winners et losers au nom du mantra de « l'égalité  des chances ». Un énorme appareil de financement soutient les causes catholiques du moment qu'elles ne concernent que la sexualité : autrement dit l'avortement, le mariage gay ou « la liberté religieuse » (confondue à vrai dire avec les questions d'avortement).

[…] Les catholiques militants les plus célèbres aux Etats-Unis se concentrent presque exclusivement sur les questions sexuelles (ce que le pape François semble avoir pointé du doigt et condamné dans son entretien à la revue jésuite America), mais ont généralement gardé le silence sur l'enseignement économique et social, tradition séculaire de l'Eglise catholique. L'élite économique fut la bénéficiaire principale de ce silence.

[…] Les réactions récentes de la presse de droite envers le pape François montrent que beaucoup de catholiques se mettent à croire à une rupture avec les bon vieux temps de Jean-Paul II et Benoît XVI, et font des voeux pour y revenir. Mais il n'y a pas de rupture : ni celle que la gauche souhaiterait, ni celle dont la droite a peur. […] Jean-Paul II et Benoît XVI ont parlé avec autant de force contre les déprédations du capitalisme. [Si leurs encycliques] n'ont pas provoqué la même réaction que les critiques du capitalisme par François, [c'est que la droite et la gauche], focalisées sur « la foi et la morale », voulaient ignorer leurs enseignements économiques et sociaux.

[La critique du capitalisme par François], surgissant soudain avec une force qu'elle n'avait pas quand elle était exprimée par Jean-Paul II et Benoît, doit être étouffée dans l'oeuf avant de commettre des dommages. Certes, l'enseignement de l'Eglise a toujours mis en lumière le lien très fort entre l'individualisme-égocentrisme radical – constituant le coeur du capitalisme – et les pratiques du libérationnisme sexuel, le tout étant postulé par la même vision de l'homme (si vous ne me croyez pas, lisez Ayn Rand). […] Si on étudie attentivement la critique par François des effets de l'économie sur les faibles et les démunis, on voit qu'il parle des enfants à naître autant que des losers dans une économie conçue pour les forts. Comme Jean-Paul et Benoît avant lui, François discerne la continuité entre une économie du rebut et une vision de la vie humaine comme rebut.Il voit la connexion profonde entre une économie survalorisant l'autonomie individuelle, les choix illimités, l'absence de lien social, la réexcitation constante, l'utilitarisme et l'hédonisme, et une culture sexuelle qui justifie l'hameçonnage nomade […] et une redéfinition du mariage fondée sur l'émotionnel, dans laquelle les faibles (les enfants et les plus pauvres, qui souffrent d'une complète dévastation de la famille) sont relégués à l'arrière-plan.

En Amérique, la fragmentation de la pensée catholique l'a rendue docile, dans ce pays qui traita toujours les catholiques en suspects. L'Amérique lockienne a dompté les catholiques non par l'oppression (comme Locke le pensait nécessaire), mais par la division et la soumission – en permettant, voire encourageant, l'enseignement de l'Eglise dans le domaine sexuel, mais coupé de l'enseignement social. […] Ceci dirigea l'énergie des conservateurs vers les seules questions sexuelles, les détournant de toucher à une économie prédatrice qui fabrique chaque jour peu de winners et plus de losers tout en développant une culture de libertarisme sexuel qui met les enfants au rebut. […] François bouleverse cet « arrangement ». Rush et sa bande ne se laisseront pas renverser sans combattre. Si seulement ils pouvaient forcer ce foutu marxiste à parler sexe... >>

 

 

Texte anglais : http://www.theamericanconservative.com/would-someone-just-shut-that-pope-up

 

 

L'auteur : « Patrick J. Deneen is Associate Professor of Government and holds the Markos and Eleni Tsakopoulos-Kounalakis Chair in Hellenic Studies at Georgetown University. His interests include ancient political thought, American political thought, democratic theory, religion and politics, and literature and politics. He is the author of The Odyssey of Political Theory (2000) and Democratic Faith (2005) and has published articles in Political Theory, Social Research, Polity, First Things, The Weekly Standard, and others. He received his Ph.D. in political science from Rutgers University. »

 

Commentaires

PATRICK DENEEN

> Bien !!!
Les choses commencent à se dire, des deux côtés de l'Atlantique.
______

Écrit par : PMalo / | 01/07/2014

LIBÉRAUX

> Bravo pour votre critique des "libéraux" américains et votre juste défense du Pape François.
______

Écrit par : Hourdin Joseph / | 02/07/2014

LIRE BERNARD LAURENT

> Je lis en ce moment un livre très intéressant d'un professeur d'économie, Bernard Laurent, qui relit les encycliques sociales depuis Rerum Novarum en expliquant qu'elles s'inscrivent toutes rigoureusement dans la tradition résolument critique de la modernité que l'Eglise défend depuis le XVIIIème siècle. Très éclairant. Je conseille cette lecture.
______

Écrit par : FX / | 02/07/2014

LES CATHOLIQUES ET L'ÉCONOMIE

> Merci pour votre blog.
Vous dénoncez souvent certains mouvements libéraux en France qui ont des positions non catholique, tout en se positionnant catholiques, et je trouve vos réflexions intéressantes à ce sujet. Seraient-il possible de faire une synthèse sur ce sujet ces mouvements, les prises de positions, la sémantique, ,... , pour mieux décrypter. Ou peut-être plus généralement l'économique et les catholiques en France. Ou avez vous une bibliographie intéressante à ce sujet (plutôt des choses de synthèse...).
______

Écrit par : Christian d'O / | 03/07/2014

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